Toute petite,Valérie est envoutée par la puissance de la couleur ." Plus tard je me voyais peintre dans les champs de blé parmi les coquelicots" raconte t'elle. C'est assurément en terme d'énergie que l'enfant capte le célèbre tableau de Monet.
Aujourd'hui l'artiste n'a rien perdu de cette curiosité obstinée. Créer c'est aussi jouer avec les matériaux. Jeux et transformations sont au coeur d'une oeuvre que  j'ose qualifier de hiératique et ludique. Hiératique comme cette imposante stèle​ dont la beauté est tension entre vie et mort. Ludique​​​ par l'imagination et le plaisir quand les ors,cuivres,métaux et graphites participent au Grand Oeuvre dans une alchimie joyeuse.

Mais l'oeuvre de Valérie de Laubrière n'en reste pas moins résolument ancrée dans la vie: rouge oxyde de fer  et gris cendre sont physiques -artères de vie- et simultanément telluriques -art de la terre- Cette création dans sa simple magnificence  fait écho aux "émotions humaines fondamentales 1" d'un certain Rothko mais aussi à la radicalité engagée de l' Arte Povera. Ainsi , l'artiste déploiera son talent dans la démesure d'une vaste oeuvre murale Cendre et Lumière ​​​​zone de chaleur  et foyer pour le Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg ,tout d'acier ,de béton et de verre, inauguré en 2008;  C'est une fête picturale aux alliages de rêves; pigments, cendres  feuilles de cuivre avec parfois un peu d'or.
L'artiste dévoile ainsi sa quête d'unité entre le concept et sa matière:" Pas de cendre ni de lumière métallique sans penser à leur symboles" Comme telle planche brûlée rehaussée de couleurs ou tel grand diptyque en technique mixte ( acrylique, pigment,cendre sur plancher) Il faut voir également ces autres  pièces d'un beau graphite gris  argenté  ,faisceaux de lune sur des lacs inventés.
De la surface apaisante d'un lac , à l'art aigu de la laque il n'y a qu'un pas ;"Une forte attirance pour la luminosité métallique, vivante,s'irisant à la moindre variation lumineuse." Ainsi par ses   matières picturales réinventées, le travail de  Valérie de Laubrière nous entraîne dans son art, "Sa merveilleuse essence"

'Antoine Campo
Auteur
Paris 2015


1 Writing on arts:New Haven-Londres

Le premier signe d'existence

L'atelier.

"Que signifie pour nous les grottes de Lascaux? Les premiers signes sensibles d'un monde de l'art?Un sentiment de présence plus fort que la mort? Oui,mais aussi qu'a partir de rien: un peu de terre ,des pierres et des outils tranchants,le premier homme s'est exprimé par la  matière.Il trace,grave,sculpte et dessine au coeur de la roche...
Oxydées,scintillantes,précieuses,les richesses telluriques ont transformé l'atelier de Valérie de Laubrière.Volatiles,les pigments poudreux comme la cendre et les épices imprègnent la peau dans les moindres recoins du plancher, des outils au poêle qui vrombit les mois d'hiver.La charpente  s'apparente à la coque d'un bateau retourné.Au sol la navigation est intérieure.
Par les fenêtres, la nature s'offre à perte de vue.Elle semble au repos,du moins en surface.Les frondaisons ont une telle vitalité qu'elles descendent puiser ce vert épais des profondeurs.
Au loin , le bleu minéral de la mer découpe les mamelons de verdure,apparaît par endroits au coeur d'une forêt.L'eau se pert au pied des racines.Elles s'aventure loin et de ses derniers ressacs, prend du dernier ressac la teinte qui la rend si masculine.
La nature ici est hors contrôle.Elle vainc les meilleurs volontés.Son pouvoir certains jours vous oblige le respect.
Valérie de Laubrière observe le ciel et la terre, les journées suspendues qu'elle qualifie de poétiques.C'est dans ces moments là,quand le souffle du vent caresse les éléments, qu'elle ressent le gris;le graphite qui compose ses oeuvres possède l'atmosphère en des variations infinies.Elle ne voit que lumière et transparence.L'espace  se révèle être , selon elle , sans limite.Jamais , la nature se déroge au profond ressenti de l'artiste.Elle est calme et infinie."

".....Valérie de Laubrière peint depuis sa jeunesse.La nature constitue la matière de son travail.Figurative au début, son geste, souple et élancé pressentait un retour à l'abstrait.En effet , l'artiste reçu une formation aux Arts Appliqués à Paris  encore imprégnés de l'hégémonie de l'abstraction des années 50 avant de rejoindre les Beaux- Arts .Elle comprend l'absence d'images figuratives comme un retour aux sources.Cependant ce n'est que récemment qu'elle réutilise la technique fastidieuse de la laque apprise à cette époque.Parallèlement elle exploite les jeux d'atmosphère de façon visuel et physique.L'humidité et la chaleur provoque des reliefs en décollant et stabilisant les couches de liants mélangés aux pigments.Peut-
être davantage intéressée par les matériaux :fer , argent , sable, bois, cendre et ficelle constituaient dans ses oeuvres une pâte qui a disparue.

Aujourd'hui, sa peinture se réduit à trois couleurs: gris,graphite,or et rouge oxyde de fer.A la toile succède souvent des surfaces en bois qu'elle grave et incise.Délibérément  accidentés,
sculptés, les supports reçoivent les passages successifs de pigments.L'artiste agit directement avec ses mains.Proche en ce sens de l'abstraction gestuelle,elle se dit plus libre sans la figure.Elle recrée un espace sans horizon.Un paysage mental en quelque sorte.

Les oeuvres de ces dernières années possèdent l'apesanteur quand le graphite révèle la lumière, le temps, évoqué par les stratifications.Aérienne,elle indique une terre inconnue fendant l'espace lisse et opaque.Une série intégrant des pierres de croix à la matière picturale absorbe le regardeur par l'intensité du pigment.Libre à chacun de soupçonner  un visage
un masque, une présence dans ses oeuvres, ou le désir de rejoindre la profondeur saturée pour atteindre par ricochets,l'électricité d'une touche d'or.

Sorte de parois promises à l'évasion, les oeuvres de Valérie de Laubrière sont des fenêtres ouvertes sur un monde qui demande au préalable de libérer ses yeux des images trop colorées, trop bruitées et vite assimilées du quotidien.

Véritable voyage, elle confie penser l'espace lorsqu'elle accidente le bois jusqu'à ses contours ,puis quand elle procède aux passages de résine qui s'imprègnent comme des vagues sur le sable.Une fois absorbée,le peintre fait résonner la transparence de la laque en appliquant des feuilles d'or.Les touches précieuses insufflent une âme à la matière.Elle vibre de la lumière intense et concentrée qui caractérise le minéral.
Pour l'artiste, l'oxyde de fer  semble remplir son rôle de couche préparatoire et c'est à force de dominer la matière,que les strates qui se forment permettent à la couleur d'atteindre la surface.Sur les supports le pigment semble remonter de l'intérieur par capillarité.Discret ou bien vainqueur,il balaie le vent chaud les impuretés.Le graphite disparait et l'or s'affirme.
En soulignant que le rouge lui rappelle sa féminité,et que le graphite évoque le granit,l'artiste renverse le genre des éléments.Dans sa peinture la terre est masculin et le feu féminin.

La qualité des minéraux déploie une gamme de sentiments qui s'accordent au vécu du peintre.Rouge explosif, gris lumineux et sauvage, or assimilent la lumière, l'atmosphère,les formes et les espaces jusqu'a métamorphoser la réalité en peinture pure.

Valérie de Laubrière reste attachée au monde naturel.La fusion qu'elle opère entre la vision et l'action résonne des grands espaces tectoniques. Ces mêmes contrées qui firent prendre aux hommes  le charbon pour tracer le premier signe d'existence,celles là même encore qui les amenèrent à bâtir de mystérieuse danses de granit,convoiter la clémence du ciel en mêlant à nouveau l'or à la terre.De façon universelle, c'est l'appartenance physique de l'homme aux éléments à laquelle Valérie de Laubrière rend hommage par la poésie de son art.

    Laurence d'Ist
Historienne d'art
Marcoussis, mars 2003

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